En mémoire de Monsieur Paul Sobol, rescapé d’Auschwitz

Tous les deux ans, les élèves du LGL ont la possibilité de se rendre à Auschwitz avec les Témoins de la 2ème génération. En 2018 et en 2019, le LGL a également donné l’opportunité aux élèves de 2e, désireux de se rendre les lieux, de faire ce voyage hors du commun. C’est alors qu’ils ont pu rencontrer des passeurs de mémoire, tel que Monsieur Paul Sobol.

Monsieur Sobol s’est également rendu au LGL en 2017 et une dernière fois en 2019. À travers son témoignage, il a fait de tous ces élèves des passeurs de mémoire à leur tour. Pour lui rendre un dernier hommage, un ancien élève du lycée, Antoine Pohu, a rédigé un texte qui permettra de se replonger dans le passé, mais aussi de garder en mémoire le passage d’un homme qui aura marqué toute une jeunesse et qui laissera derrière lui un profond souvenir.

Une vie n’est pas un long fleuve tranquille. (Paul Sobol, 1926-2020)

Stéphanie Duchaine

Je me souviens de Paul Sobol

Je me souviens d’Auschwitz… quand j’ouvre la couverture de ce livre je tombe sur une dédicace tremblante. Signée Paul Sobol. B-3635. Ce numéro qu’il n’a jamais voulu effacer de son bras. Je vais être honnête, je n’ai pas encore lu le livre. Depuis les quelques années qu’il est dans ma bibliothèque j’ai dévoré une bonne centaine de livres, mais toujours un autre que celui-là. C’est que son discours au LGL en 2017 n’a pas flétri dans ma mémoire. Je me souviens de Paul Sobol. On était écrasé sur nos chaises dans la chaleur étouffante d’une journée de mai. Lui, il se tenait droit devant nous dans la salle des fêtes, se balançant sur la pointe des pieds, le micro aisément tenu au bout du bras. Il nous parlait d’un ton aimable et gai. Enchanté d’être là. Et surtout, ravi, qu’on soit là, nous, à l’écouter.

Il nous a demandé de fermer les yeux pour oublier son âge et ce temps qui semble tellement loin. Il a voulu qu’on ferme nos yeux pour n’entendre que sa voix. Celle d’un garçon qui jouait clandestinement dans les rues de Bruxelles sous le nom de Robert Sax. Et dans ces rues se dessinait la silhouette de Nelly Vandepaer. Dans la caserne Dossin à Malines, caché du regard des soldats allemands, au fond d’un panier de nourriture, le jeune garçon a découvert une petite photo pliée en quatre. Talisman de l’espoir ; le portrait de la fille dont l’amour a été une chaleureuse constante de sa vie.

Cette voix nous parlait à travers les âges et rendait le passé palpable, quasi matériel. La véritable force de Paul Sobol était de réussir à introduire la vie dans notre imaginaire des camps de concentration. La vie au plein milieu de la souffrance, une vie au sein même de la mort. Dans les baraques arides, dans un horizon de barbelés, dans le froid de Pologne, il a placé la vie, des êtres vivants, des êtres humains. C’est ce qui fait l’ineffable tristesse et en même temps la beauté de son récit ; par-là, son importance incomparable. Il ne se perdait pas dans des exclamations, des jugements, des dénonciations, ou même des plaintes. Il se bornait à raconter son histoire avec un sens du détail touchant, une histoire émaillée d’anecdotes ; affreuses, émouvantes, apitoyantes, écœurantes et parfois drôles ou enjouées. Il nous a fait réfléchir, c’est sûr. Il nous a attendri, remué et bouleversé, peut-être qu’il a même fait pleurer certains d’entre nous. Mais, au milieu de tout cela il nous a fait rire aussi. De ce sourire ébréché qui laisse des cicatrices.

Aucun documentaire, aucun film, aucun cours d’histoire et même pas une visite à Auschwitz – pour ma part – m’ont tellement porté au cœur la réalité des camps. À la connaissance factuelle, il a apporté la sensation, l’expérience. J’ai beaucoup pensé à son intervention au LGL quand deux ans plus tard, j’ai lu L’écriture ou la vie. Là aussi, l’auteur s’efforce de donner à sentir l’horreur des camps par la description minutieuse du quotidien, il s’arrête surtout sur la difficulté de surpasser la terreur vécue.

À l’encontre de Jorge Semprun, Paul Sobol a laissé le camp derrière lui après l’avoir quitté. Il n’entendait pas une voix éraillée déchirer ses rêves, encore et toujours : « Krematorium, ausmachen ! ». Pour lui, c’était un chapitre clos. Il a choisi la vie. Je me souviens de mon incompréhension à l’époque face à ces paroles. Aujourd’hui, j’en reconnais l’envergure, mais il me semble que je n’arrive pas encore à les saisir totalement. Plus tard, il est devenu passeur de mémoire et a partagé son expérience, pour enseigner les générations futures dans l’espoir que la connaissance et la compréhension soient les garants d’un avenir meilleur.

Aujourd’hui on est accablé par la nouvelle de sa mort. À nous maintenant de porter son flambeau dans un monde qui s’émiette. Que ses leçons nous servent de ligne directrice, parce qu’il a sans doute encore bien des choses à nous apprendre.

Antoine Pohu